Léonie Castelain a une carrière de 21 ans sur Terre dont 20 avec l’eczéma. Si elle s’est longtemps sentie seule, et dans l’obligation de cacher les plaques sur sa peau, 33% de la population française sont touchés au moins une fois dans sa vie par cette affection. Vivre avec une maladie de peau aussi voyante, ça s’apprend, et surtout ça prend du temps. Elle vous raconte les étapes de ce chemin vers l’acceptation de son corps.
« J’avais depuis très longtemps envie de travailler sur l’eczéma. Depuis toute petite, j’ai cherché des gens comme moi, mais je n’ai jamais trouvé. Quand j’ai appris que le projet Traitement de l’intime nous proposait de travailler sur un enjeu personnel, le sujet s’est imposé à moi. La réalisation de cet article a pu être compliquée parfois, car je n’aime pas particulièrement parler de moi. Finalement, je suis fière de pouvoir être la ressource qui m’a manqué plus jeune.«
Léonie Castelain, étudiante ESJ 2023
Manches courtes ou manches longues ? C’est le même dilemme à chaque fois que je dois me préparer pour aller en soirée. J’imagine l’ambiance, la chaleur qui monte dans le bar, mes amis qui dansent sans se soucier de la sueur qui perle sur leur corps. Mes vêtements sont en vrac dans mon studio d’étudiante. Je les rangerai plus tard. Là, je pars faire la fête. Allez, j’opte pour des manches longues. Je sais, je serai la seule en pull, mais je ne veux pas que l’on voit mes bras.
Cela fait vingt ans que mon corps est recouvert de rougeurs, de cicatrices et de croûtes. Et ça gratte fort. Rien de sale, mais rien de beau non plus. Mon eczéma attire les regards, alors quand je ne connais pas les gens, je préfère le cacher. Leurs regards affectent encore la jeune adulte que je suis. Enfant et adolescente, ils ont forgé mon propre regard sur mon corps.
“Ta première crise, tu devais avoir six mois, se remémore ma mère, c’était à cause d’une crème, ta peau est devenue rouge et très asséchée.” L’eczéma touche un tiers de la population au moins une fois au cours de la vie. Souvent chez les jeunes enfants, l’inflammation est déclenchée par un allergène, ça s’appelle l’eczéma de contact. Il existe aussi l’eczéma photosensible, dû à une exposition au soleil, l’eczéma secondaire, causé par une bactérie, et l’atopique, le chronique. Ce dernier est le plus répandu. Il est d’origine génétique. Mon arrière-grand-mère en était porteuse. Et à mes quatre ans, c’est à mon tour de déclencher l’eczéma atopique. Ma mère a vu toutes mes crises, m’a conseillée, et acheté un nombre de crèmes incalculables. “J’ai l’impression qu’au fur et à mesure que tu vieillis, ça s’est empiré !”, constate-t-elle aujourd’hui avec du recul.
(Me) Cacher
A l’adolescence, je camoufle mes plaques derrière des pulls, des manches longues… Mais ça ne suffit plus. Au lycée, l’eczéma attaque mon visage. Je me demande comment camoufler la croûte qui prend toute la place sur ma mâchoire, comment détourner l’attention de mes paupières rouge vif. Je deviens accro au maquillage. Je choisis mes produits avec attention, sur les conseils de ma mère. Elle m’apprend quand je peux mettre tel ou tel produit. Certains composants sont même prohibés. La peau eczémateuse est fragilisée, et le maquillage contient des produits chimiques qui peuvent être nocifs. A proscrire : le parfum directement au contact de la peau, les produits concentrés en conservateurs comme les parabens, le phénoxyéthanol, les formaldéhydes, ou encore les allergènes ! “Les fards à paupière peuvent même aggraver l’eczéma” alerte la société française de dermatologie. Les pigments de fards, notamment le rouge, le vert et le violet, contiennent des traces de cobalt, de chrome, d’oxyde de fer, qui agressent la peau. De ce fait, je me tourne vers le liner pour me maquiller. J’en porte tous les jours. Mes amis appellent ça “ma signature”.
Au lycée, je vis avec eux car je suis interne. On mange, on travaille, on s’ennuie ensemble. Pourtant, en dehors de ma colocataire de chambre, personne ne sait que j’ai de l’eczéma, même Alex, ma meilleure amie. Je me cachais, mais elle aussi. Elle a du psoriasis, une maladie de peau qui se manifeste par des plaques rouges recouvertes de squames. J’avais remarqué qu’elle se maquillait beaucoup. “Il m’était impossible de sortir sans maquillage, je préférais qu’on voit que j’ai plusieurs couches de fond de teint plutôt qu’on voit mes plaques ou mes rougeurs”, rapporte-t-elle aujourd’hui.
Il nous a fallu trois ans pour se l’avouer l’une à l’autre. C’était à l’aube de nos vingt ans. Nous étions chez elle. Elle a remarqué une plaque sur mon poignet. Elle est partie dans la salle de bain et est revenue avec un gel douche qui apaisait ses démangeaisons. On s’est compris en un geste. Depuis le tabou est levé. “Je n’avais pas envie de parler de ce qui me rendait mal dans ma peau, raconte Alex, à côté de nous, il y avait des personnes qui rabaissaient les autres pour exister.” J’ai compris que nous avions toutes les deux une carapace pour nous protéger parce que notre peau n’était pas capable de le faire.
La peau, une barrière d’importance primordiale
Les problèmes de peau souvent bénins représentent, pour ceux qui en souffrent, une réelle préoccupation. Cela est dû au rôle de la peau, précis et unique pour le corps humain. La peau est le seul des sept organes à ne pas être protégée. C’est elle qui protège. Les autres organes sont enfermés dans la cage thoracique ou la boîte crânienne. La peau délimite qui nous sommes. Elle est le lien entre le monde extérieur et notre monde intérieur. Elle définit les contours de chaque être humain pour les autres. La peau est une barrière. La peau tient son importance aussi grâce à son lien étroit avec le sens du toucher. Il est le seul le moins vulnérable puisqu’il est le premier sens à être développé dans le ventre de la mère, et le dernier à être perdu en vieillissant. Aussi, il ne nécessite pas d’interprétation de stimuli extérieur. Il ne peut pas y avoir de fausses hypothèses liées à ce que ressent la peau.
(M’)Accepter
Je parle de plus en plus facilement de l’eczéma autour de moi. Mais je suis “toujours dans la revendication” selon ma mère. Expliquer ce qu’est l’eczéma peut m’agacer, alors je l’explique encore d’un ton un peu sec. Je me sens obligée de devoir casser les préjugés. Non, ce n’est pas sale. Non, je ne suis pas hyper anxieuse. Non, ce n’est pas contagieux. Non, ce n’est pas une allergie.
Dans l’imaginaire collectif, l’eczéma est causé par le stress. Mais il n’est pas le seul facteur déclencheur de plaques. Ressentir une émotion négative comme la peur, la tristesse, le manque d’épanouissement, peut déclencher une crise. Certains traumatismes sont aussi la cause de plaques permanentes. Ces émotions peuvent durer plus ou moins longtemps, les plaques aussi.
J’apprends doucement à apaiser mon ton. Plus je parle de l’eczéma, plus je suis calme dans la manière dont je donne les informations.
Si parler a été une étape consécutive à de nombreux petits pas vers l’acceptation de soi, il y a un point sur lequel je bloque. Depuis le lycée, je refuse catégoriquement d’aller voir un professionnel de santé. Ils prescrivent tous des crèmes, qui ne s’appliquent pas sur le visage, à base de corticoïdes, plus communément appelés “cortisone”. Elle a un effet de dépendance : il en faut toujours plus pour apaiser. Les causes ne sont pas traitées, seulement les symptômes. Alors, à la maison mon tube reste dans le placard. Il est même périmé.
Pour sortir de l’allopathie, ma mère me propose d’aller voir un magnétiseur. “Les plaques étaient de plus en plus présentes, ça me faisait mal de te voir avoir mal”, justifie-t-elle. L’étude Ifop, “Les français face à l’eczéma” relate qu’un tiers des personnes touchées par cette maladie ont déjà consulté un praticien non conventionnel pour ces problèmes. En cause : le manque d’accessibilité des spécialistes, et l’impression d’être en errance médicale pour les patients.
D’abord sceptique, je finis par accepter d’aller voir Nicolas Mièze, un magnétiseur. En passant la porte de son cabinet pour la première fois, je suis impressionnée. Je ne sais pas ce qui va se passer. Il me demande pourquoi je suis là, je lui raconte. Puis la séance de magnétisme commence. “En réalité, je ne fais pas grand chose, j’essaie juste de débloquer tout l’émotionnel qui n’a pas été géré et qui se traduit par des problèmes de peau”, m’explique aujourd’hui le magnétiseur. Après notre première séance, il m’annonce qu’il en faudra d’autres. “C’est normal puisque la première fois, les gens sont un peu fermés, et le magnétisme fonctionne plus avec les personnes à l’aise.” Les clients touchés par les problèmes de peau les plus réceptifs sont les enfants. Leurs parents ont souvent testé les crèmes à base de corticoïdes. Face au manque de résultats, ils décident de sortir de l’allopathie. Comme moi.
Je retourne le voir quelques mois plus tard. Je suis moins stressée car je sais comment ça se passe. A la fin de notre rendez-vous, Nicolas Mièze m’annonce autre chose : je risque d’avoir une énorme poussée dans la semaine suivante. “La séance a pour but d’évacuer ce qui bloque, et dans le cas de personnes avec des problèmes de peau, l’évacuation passe par des symptômes plus marqués, donc des plaques plus présentes.”
Aujourd’hui, mes passages chez le magnétiseur se sont écartés. Je suis censée y retourner tous les huit mois pour contenir le tout. Finalement, je n’y vais que quand je fais une crise importante. Amusé, Nicolas Mièze m’explique que je suis comme tout le monde : “Quand les gens vont bien, ils oublient leur problème. Quand les problèmes reviennent, ils se souviennent de ce qu’il leur fait du bien”.
(M’)épanouir
Si cette solution me convient, elle n’a pas non plus permis d’accepter totalement mon affection. Le chemin vers l’épanouissement total a été un peu plus long qu’un simple rendez-vous chez le magnétiseur.
J’ai d’abord vu Alex s’aimer avec ses plaques. Elle a rencontré son copain, et a vu qu’elle pouvait être aimée, alors elle s’est apaisée. Il a été son déclic. “J’ai refait une crise récemment. Et ça m’a saoulée. Mais il m’a dit « Tu te souviens comment tu étais quand je t’ai rencontrée, tu en avais partout ». Ça m’a aidée à relativiser. C’est vrai qu’aujourd’hui, je n’ai quasiment plus rien sur ma peau”, rapporte-t-elle. Elle ne fait des crises que de manière ponctuelle, une fois par semestre maximum.
Les maladies de peau comme l’eczéma ou le psoriasis peuvent s’arrêter du jour au lendemain, sans raison. Pour beaucoup, les crises s’arrêtent après l’enfance ou autour de la vingtaine. Cela ne veut pas dire que ceux qui en souffrent sont guéris. Ceux pour qui cela continue ne sont pas condamnés non plus. Il faut plus comprendre l’arrêt des plaques comme une pause, plus ou moins longue en fonction des personnes.
De mon côté, le déclic est un peu plus long à venir. Au moment où j’entame la réalisation de cet article, j’ai 21 ans, et il me reste une étape avant d’être en phase avec moi-même. Je sais parler. Je sais vulgariser. Je suis experte en maladies de peau. J’ai une solution qui m’apaise. Mais une question persiste. Pourquoi je déclenche ça à un moment et pas à un autre, pourquoi je ne contrôle pas ? Cette recherche incessante de réponses m’empêche de vivre sans me prendre la tête.
Pour le bien de mon travail, je cherche de la documentation. Une amie me conseille le podcast documentaire A fleur de voix de la journaliste Fabienne Laumonier. Elle revient sur ses tentatives pour éradiquer sa maladie de peau, le psoriasis, avec des crèmes, l’hypnose ou encore l’homéopathie… Dès le premier épisode, une phrase me marque. “Le psoriasis est une sorte de baromètre de mes émotions.” Cette phrase pourrait être ma devise, si l’on remplace psoriasis par eczéma bien sûr. Ce podcast est mon déclic.
La journaliste compare ces plaques à des fleurs, pour les rendre plus jolies mais aussi pour faire un rappel à l’expression, et le titre de son podcast : à fleur de peau. Cette locution désigne un état de grande sensibilité émotionnelle, où l’on réagit à la moindre sollicitation. Pour certains dictionnaires, elle est même synonyme de fragilité.
Le parallèle entre les émotions et les plaques me frappe. Je comprends que je ne pourrai jamais contrôler le moment où je déclenche une crise, car je ne contrôle pas mes émotions. Personne ne les contrôle. Du jour au lendemain, j’arrête de chercher des réponses à ma question. Mes plaques sont toujours présentes et je laisse mes émotions s’épanouir sur ma peau.
La dernière étape de mon chemin avec l’eczéma est franchie à ce moment-là. Je comprends que “quelque chose s’exprime sur moi sans mon autorisation, et quelque part j’aime assez cette transgression” comme le résume Fabienne Laumonier.
Je ne garde qu’une seule chose de cette vie d’acceptation de mon eczéma. “Manches courtes ou manches longues ?” Mais dorénavant, je regarde la météo, plus ma peau.